L’histoire de la carte joker : pourquoi le joker est-il dans un jeu de cartes ?
Résumé
La carte joker, généralement représentée par un bouffon médiéval ou un clown, semble avoir été conçue d’après un ancien motif chargé de sens. De nombreux articles sur Internet lui prêtent une origine liée au Fou, l’une des cartes du tarot. Pourtant, l’histoire raconte une tout autre version — tout aussi fascinante. Le joker trouve ses racines dans le valet, utilisé de manière novatrice dans certains jeux européens du XVIIe siècle. Au XIXe siècle, les joueurs américains de l’euchre créèrent une carte distincte, qu’ils appelèrent rapidement joker, déformant ainsi la terminologie allemande d’origine liée à ce jeu. Ce nouveau nom établit naturellement un lien avec la plaisanterie, influençant par la suite le graphisme des cartes joker. C’est dans les années 1940 que l’histoire du joker prit un tournant inattendu lorsque la carte inspira les dessinateurs chez DC Comics à créer l’un des plus grands super-vilains de tous les temps. Aujourd’hui, la carte joker incarne un personnage bien plus complexe et menaçant que le simple clown d’il y a 150 ans, tout en restant largement utilisée dans de nombreux jeux de cartes.
Avant le joker : l’évolution du valet
Avant l'apparition du joker, ses fonctions typiques d'atout et de carte substitut (également appelée carte folle ; wild card en anglais) étaient souvent remplies par l'un des quatre valets. La carte du valet fait partie du jeu de 52 cartes depuis le XVe siècle, époque à laquelle les fabricants français l’ont introduite comme la plus faible des trois figures. En ce temps-là, les figures comprenaient le valet, le cavalier — bientôt remplacé par la reine — et le roi. Le roi occupait alors la plus haute place dans les premiers jeux de cartes européens. Pourtant, au XVIIe siècle, des joueurs français et anglais inventèrent plusieurs jeux où l’un des valets fut promu au rang suprême. Parmi eux figurait le jeu anglais Lanterloo (également connu sous les noms de Lenturlu ou simplement Loo), souvent cité comme une étape majeure dans la transformation du valet en joker1.
Dans Lanterloo, le valet de trèfle (♣ ; illustration 1) était promu au rang le plus élevé, devenant ainsi une carte d’atout capable de battre à la fois le roi et la reine. Les joueurs appelaient ce valet privilégié Pam, forme abrégée de Pamphilus, nom tiré d’un poème médiéval intitulé Pamphilus, ou L’Art d’être aimé2. Dans ce poème, Pamphilus est un jeune homme de noble naissance mais de condition modeste, qui parvient à s’élever socialement en épousant une riche et belle jeune femme3. Cette ascension sociale explique pourquoi les joueurs ont associé ce personnage au valet de Lanterloo — la figure la plus faible, promue au rang suprême.
Au XVIIe siècle, les Français appelaient eux aussi ce valet promu Pam, et leur variante de Lanterloo était connue sous le nom de pamphile. En plus de promouvoir un valet, ce jeu lui attribuait un rôle supplémentaire, que l’on associe aujourd’hui au joker : celui de carte substitut. Lorsqu’un joueur possédait quatre cartes de la même couleur, il pouvait utiliser Pam comme substitut de la carte manquante pour compléter une couleur de cinq cartes4.
Certains rôles caractéristiques du joker s’étaient déjà développés dans l’Europe du XVIIe siècle, bien avant l’apparition de la carte joker. À cette époque, le valet promu, appelé Pam, jouait à la fois le rôle d’atout et de carte substitut dans deux jeux populaires : Lanterloo et pamphile.
L’origine de la carte joker : l’euchre
Le jeu à l’origine de la carte joker est l’euchre — un jeu de cartes qui s’inscrivait dans la continuité de Lanterloo en valorisant certains valets. L’euchre est né au XVIIIe siècle en Alsace, une région germanophone de France, et portait à l’origine le nom de Jucker. Dans sa version initiale, le jeu élevait deux valets aux premier et deuxième rangs. Ces valets étaient appelés Bauer, un terme allemand signifiant à la fois « valet » et « paysan ». Au XIXe siècle, des immigrants alsaciens introduisirent le jeu de Jucker aux États-Unis, où les joueurs anglophones transformèrent la terminologie allemande. Pour rendre ces noms plus familiers, ils modifièrent l’orthographe de Jucker en Euchre et de Bauer en Bower. Le valet le plus fort fut appelé Right Bower (littéralement « le Bower de droite ») ou Best Bower (« le Bower supérieur »), tandis que le second prit le nom de Left Bower (« le Bower de gauche »). Les premières règles du jeu d’euchre publiées qui emploient cette terminologie datent de 18455.
Vers 1857, les joueurs de l’euchre ajoutèrent un troisième Bower au jeu. En plus des deux valets promus — le Right Bower et le Left Bower — ils introduisirent une nouvelle carte capable de les battre tous les deux. Cette carte fut appelée Best Bower (illustration 2), et parfois aussi Imperial Bower (« le Bower impérial »). À l’origine, ce nouveau Best Bower n’était qu’une carte vierge6. Peu de temps après, le célèbre fabricant américain de cartes à jouer Samuel Hart imprima les premiers modèles ornés de la carte Best Bower7.
En 1875, les joueurs d’euchre utilisaient soit des cartes Best Bower vierges, soit ornées, selon les exemplaires dont ils disposaient. C’est à cette époque que les adeptes d’une variante appelée Railroad Euchre commencèrent à désigner cette carte supplémentaire sous le nom de joker. L’édition de 1875 de The American Hoyle, un recueil des jeux en vogue, précise que dans le Railroad Euchre, il existe « une carte vierge supplémentaire généralement appelée joker ou atout impérial »8.
L’euchre se jouait avec un jeu de 32 cartes, réparties en quatre couleurs, chacune comprenant trois figures, un as et quatre cartes numérales allant de 7 à 10 9. Ce sont ces jeux réduits qui ont été les premiers à intégrer la carte joker (illustration 3). Mais avant la fin du XIXe siècle, le joker fut aussi ajouté aux jeux complets de 52 cartes, ce qui permit aux joueurs de l’adapter à d’autres jeux. Le plus célèbre d’entre eux est le poker, où le joker devint une carte substitut10.
Les premiers jokers apparurent vers 1875 dans le jeu américain Railroad Euchre. Ils faisaient office d’atouts et dérivaient du valet promu, appelé Best Bower dans une variante antérieure de l’euchre. Avant la fin du XIXe siècle, le joker commença également à jouer le rôle de carte substitut dans le poker.
L’origine du nom joker
Le terme joker est probablement une déformation du mot allemand Jucker, qui désignait à la fois un jeu de cartes (l’ancêtre de l’euchre) et la carte du valet11. Au fil de l’histoire, les valets utilisés comme atouts ou cartes substituts ont porté divers noms : Pam dans les jeux Lanterloo et pamphile, ou encore Best Bower dans les premières versions de l’euchre. Le nom Pam évoquait le rang de la carte, en référence au personnage littéraire d’un jeune homme gravissant les échelons de la société. Les termes allemands Bauer et Jucker étaient également pertinents, car ils désignaient le valet, dont le rang élevé constituait la particularité essentielle de l’euchre. En revanche, Bower et joker n’avaient plus de rapport direct avec le rôle du valet promu dans l’euchre : ce ne sont que des déformations des termes allemands d’origine. En anglais ancien, le mot bower désignait une ancre, une tonnelle (pergola) ou une chambre12, tandis que joker désignait un bouffon de cour, un amuseur au service d’une maison royale13.
Il n’a pas fallu longtemps aux joueurs anglophones pour associer le nom joker à une figure comique, un diable en boîte (illustration 4) ou un bouffon. À la fin des années 1870 et au début des années 1880, certains fabricants commencèrent à appeler leurs cartes joker des Jolly Jokers (littéralement « jokers joyeux »). Vers la fin du XIXe siècle, l’association du joker avec l’humour et la plaisanterie donna lieu à sa représentation sous les traits d’un bouffon de cour — une iconographie qui demeure aujourd’hui la plus répandue pour cette carte14.
Le nom joker provient très probablement du mot allemand Jucker, qui désignait à la fois la carte du valet et l’ancêtre alsacien du jeu de l’euchre. Une fois ce terme apparu, les joueurs commencèrent à l’associer aux plaisanteries et aux bouffons.
L’origine de l’apparence du joker
La carte joker représente le plus souvent un bouffon de cour, ce qui correspond à la fois à son nom et à l’iconographie des trois figures du jeu (le roi, la reine et le valet), qui incarnent généralement des membres d’une cour médiévale. Pourtant, cette image du bouffon n’était pas celle qui accompagnait à l’origine le joker ni son prédécesseur dans le jeu d’euchre : le Best Bower. La toute première version de cette carte — qui surpassait les deux Bowers (valets de rang élevé) — n’était qu’une carte vierge. Dans les années 1850, Samuel Hart commença à imprimer des versions ornées du Best Bower, bientôt imité par d’autres fabricants. Ces premiers modèles comportaient généralement le nom du fabricant, celui de la carte, ainsi qu’une brève indication de son rôle (par exemple : « Imperial Bower or Highest Trump Card: This Card Takes either Bower », soit en français : « Bower impérial ou atout suprême : cette carte bat les deux Bowers » ; illustration 5). Le texte pouvait être accompagné de motifs abstraits ou de dessins représentant des animaux ou des personnages dans des costumes variés15.
Le changement de nom du Best Bower en joker entraîna naturellement son association avec l’image du bouffon de cour. Par un simple hasard, la prononciation anglaise approximative du mot allemand Jucker correspond à joker, un mot qui désigne notamment un bouffon. Les bouffons, à la fois amuseurs et conseillers, étaient des personnages incontournables des cours royales européennes au Moyen Âge. Pourtant, à l’époque qui a le plus influencé le design des jeux de cartes européens — le XVe siècle — ils ne furent pas inclus dans le jeu standard. Le jeu de 52 cartes alors en usage en Grande-Bretagne et en France comportait trois figures : le roi, la reine et leur courtisan — le valet. Depuis, les tenues et les attributs de ces trois figures (par exemple les armes) ont conservé une allure stylisée d’inspiration médiévale. Introduite au XIXe siècle, la carte joker est ainsi venue compléter cet ensemble en représentant un autre personnage emblématique de la cour : le bouffon vêtu d’un costume médiéval.
Paradoxalement, bien que le joker soit la carte la plus récente du jeu de 52 cartes standard, son design est plus archaïque que celui des autres figures. Au XVe siècle, les figures étaient représentées en entier, et l’apparence des rois, des reines et des valets variait considérablement d’un fabricant à l’autre. Au XIXe siècle, ces figures furent progressivement remplacées par des cartes bifaces (à double tête), standardisées pour faciliter leur lecture en main. Le joker, pourtant introduit à cette époque, conserva un format asymétrique et continua à représenter un personnage entier (illustration 6). Il n’a jamais existé de design standard pour le joker. Si le bouffon, le clown ou l’arlequin en sont les représentations les plus emblématiques, on trouve également des jokers illustrant des animaux, des personnages historiques, fantastiques ou issus de dessins animés, des objets, des motifs abstraits et bien d’autres encore. En raison de cette grande liberté graphique, le joker est souvent protégé comme marque déposée par les fabricants de cartes16.
L’apparence la plus emblématique du joker — un bouffon de cour médiéval — est née aux États-Unis au XIXe siècle. Elle faisait écho au nom de la carte et venait compléter les trois figures de cour (roi, reine et valet) des cartes. Cependant, depuis leur création, les jokers existent dans une grande variété de designs, qui n’incluent pas tous l’image d’un bouffon.
La carte joker est-elle liée au tarot ?
Une théorie populaire affirme que le joker dériverait d’une carte du tarot : le Fou. Le tarot est un jeu de 78 cartes utilisé à la fois comme jeu de cartes et comme outil de divination. Il comprend un ensemble « classique » de 56 cartes, réparties en quatre couleurs avec dix cartes numérales et quatre figures par couleur. Les 22 cartes restantes, appelées arcanes majeurs, représentent des figures telles que le Soleil, le Monde, le Diable ou l’Impératrice. Parmi elles se trouve le Fou — la seule carte à ne pas porter de chiffre romain17.
Le Fou et le joker présentent des similitudes superficielles. Pourtant, d’après ce que l’on sait de l’évolution des cartes à jouer en Europe, aucun des deux ne peut être directement issu de l’autre. Les cartes à jouer sont arrivées en Europe au XIVe siècle, d’abord en Catalogne, puis en Italie et dans d’autres pays. Issues de la culture arabe, elles étaient à l’origine de style oriental. Un jeu typique de cette époque comprenait 52 cartes réparties en quatre enseignes — épées, coupes, bâtons et deniers — avec trois figures masculines et dix cartes numérales par enseigne. Cette structure a servi de base, au XVe siècle, à la création de nombreux jeux régionaux : espagnols, allemands, italiens, français, etc. Parmi toutes ces variantes, un seul — le jeu italien que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de tarot — comportait la carte du Fou. Le joker, quant à lui, n’a été ajouté qu’au jeu standard de 52 cartes, élaboré en France à partir d’éléments empruntés aux jeux espagnols et allemands, sans influence italienne. Il n’existe donc aucun lien direct entre le Fou et le joker dans les premières étapes de l’histoire des cartes à jouer européennes18.
Le rôle du Fou a également toujours été différent de celui du joker. Beaucoup ignorent que le tarot n’était pas à l’origine un outil de divination, mais bien un jeu de cartes19. Dans le jeu du tarot, le Fou était traditionnellement la seule carte des arcanes majeurs à ne pas être un atout. Loin de servir d’atout, il permettait au joueur de se soustraire à l’obligation de fournir la couleur demandée, lui évitant ainsi de sacrifier une carte précieuse20. Le joker, quant à lui, est issu d’un valet promu, et son rôle initial dans le jeu américain de l’euchre était celui d’atout le plus fort.
Enfin, la question du design se pose. Le joker de l’euchre et le tarot sont apparus aux États-Unis à peu près à la même époque. Le premier ouvrage américain consacré à la cartomancie par le tarot fut publié en 187221, tandis que les premiers jokers portant ce nom et représentant des bouffons de cour commencèrent à être produits dans les années 1870 (illustration 3). Cette coïncidence chronologique pourrait laisser penser que le Fou du tarot a inspiré le design des premiers jokers. Toutefois, les cartes du Fou utilisées à cette époque par les Américains ne représentaient pas de bouffons.
L’Europe connaît le tarot depuis le XVe siècle, époque à laquelle les Fous n’étaient pas représentés comme des bouffons, mais plutôt comme des mendiants, vagabonds ou ivrognes (illustration 7). Parmi les représentations du Fou datant du XVIe siècle qui nous sont parvenues, on trouve par exemple un ivrogne allongé sur le dos, tenant une cruche de vin avec ses jambes, ou encore un soldat en armes en train d’uriner avec un escargot sortant de son casque22. Au XVIIIe siècle, les occultistes français réutilisent le tarot à des fins divinatoires. Ils apprécient tout particulièrement le design du tarot de Marseille — un jeu produit en France depuis le XVIIe siècle23 — qui continue à représenter le Fou sous les traits d’un vagabond (illustration 8). Les premiers tarotistes américains se sont inspirés de cette tradition. Ils ne s’intéressaient pas au jeu du tarot, mais plutôt à ses usages ésotériques, influencés par les occultistes français et leurs sociétés secrètes24. De plus, les Américains importaient apparemment leurs cartes depuis l’Europe. En 1885, un auteur anonyme d’un article sur le tarot ésotérique affirmait qu’aucun fabricant américain ne produisait encore de jeux de tarot. Il espérait qu’au moins un d’entre eux en fabriquerait correctement, comme on le faisait à Marseille25. Ainsi, non seulement les fabricants américains ont inventé le joker avant même de produire des cartes du Fou, mais le Fou qu’ils ont pu connaître à la fin du XIXe siècle ne ressemblait pas à un bouffon, mais à un vagabond du type tarot de Marseille.
Bien que les cartes joker et du Fou puissent sembler similaires, elles n’entretiennent aucun lien historique. Le joker et le Fou sont apparus à des époques et dans des contextes différents. Dans les jeux de cartes, leurs fonctions étaient opposées et ils incarnaient initialement des personnages distincts : le bouffon pour le joker, le vagabond pour le Fou. Le joker ne dérive donc pas du Fou.
Pourquoi le joker est-il dans un jeu de cartes ?
Aujourd’hui, la carte joker est incontournable dans de nombreux jeux de cartes, aussi bien en multijoueur qu’en solo. Son rôle le plus traditionnel, hérité du jeu de l’euchre au XIXe siècle, est celui d’atout. Dans l’euchre et sa variante — le 500, le joker est l’atout le plus fort : le joueur qui le joue remporte le pli34. Dans certaines variantes du jeu d’atout pique à quatre joueurs, ce rôle est partagé entre deux jokers, dont l’un est appelé « grand joker » (atout le plus fort) et l’autre « petit joker » (deuxième atout)35.
Un autre rôle bien connu du joker est celui de carte substitut, c’est-à-dire une carte capable de remplacer n’importe quelle autre (illustration 11). L’un des premiers jeux à utiliser les jokers de cette manière — et sans doute le plus célèbre — est le poker. Contrairement à l’euchre, qui se joue avec un jeu réduit (32 ou 24 cartes + le joker), le poker nécessite un jeu complet de 52 cartes. Lorsque les fabricants ont commencé à intégrer les jokers dans le jeu standard, portant le total à 54 cartes, les joueurs de poker leur ont attribué le rôle de carte substitut. Cette idée s’est ensuite répandue à d’autres jeux, notamment le rami, ainsi qu’à son proche cousin, la canasta36.
Cependant, dans certains jeux, le joker n’est pas une carte souhaitable. C’est le cas dans le jeu Old Maid où les joueurs doivent se débarrasser de toutes leurs cartes en les posant sur la table par paires (par exemple, deux rois, deux neufs, etc.). Le joueur qui ne peut pas former de paire pioche une carte chez son voisin. La seule carte qui ne peut jamais être appariée est le joker, et le joueur qui la conserve jusqu’à la fin perd la partie37.
Enfin, bien que les jeux de solitaire traditionnels n’aient pas intégré de joker, la présence de ces cartes dans les paquets a inspiré certains joueurs à inventer de nouvelles variantes de leurs solitaires favoris. La façon la plus simple d’utiliser un joker consiste à remplacer une carte bloquée, tirant ainsi parti de son rôle classique de carte substitut, ce qui augmente les chances de réussir la partie. Dans le jeu 4 As, le joker a une fonction particulière : il agit comme un « joker explosif ». Le joueur distribue quatre cartes et défausse toutes celles d’une même couleur, à l’exception de la carte la plus forte ; la partie est gagnée lorsque seuls les As, considérés comme les cartes les plus fortes, restent. À chaque distribution, il devient de plus en plus difficile de se débarrasser des cartes, car les piles s’accumulent. Mais lorsqu’un joker est distribué sur une pile, il la fait exploser : toutes les cartes de la pile retournent dans la pioche, libérant une case vide et augmentant ainsi les chances de victoire38.
Depuis son invention au XIXe siècle, le joker a été intégré à de nombreux jeux de cartes, aussi bien en multijoueur qu’en solitaire. Ses rôles les plus courants sont ceux d’atout (par exemple dans l’euchre ou l’atout pique) et de substitut (par exemple au poker ou au rami), mais il peut aussi être une carte à éviter (par exemple dans Old Maid).
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Illustrations
- Le plus ancien ancêtre du joker : valet de trèfle, vers 1656–1664. Auteur : Pierre Leroux. Conservé à la Bibliothèque nationale de France. Wikimedia Commons, domaine public.
- Carte Best Bower utilisée dans le jeu de l'euchre, XIXe siècle. Source : Hargrave, 1966 : p. 346.
- L’une des premières cartes joker, 1878. Conservée au British Museum. Wikimedia Commons, domaine public.
- Une caricature intitulée « Euchered », 1884. La carte au premier plan représente un bébé sortant d’un diable en boîte avec la légende « The Little Joker » (littéralement « le petit joker »). Auteur : F.C., Popular Graphic Arts. Conservée à la Library of Congress. Wikimedia Commons, domaine public.
- Carte Imperial Bower de Samuel Hart, vers 1872. Datation selon Simon Wintle, « Samuel Hart, 1846–1871 », World Web Playing Card Museum. Wikimedia Commons, domaine public.
- Carte joker, fin du XXe siècle. Photographie : Julia Madajczak.
- La plus ancienne carte du Fou conservée : jeu Visconti-Sforza, 1466 (voir Dummett, 1980 : pp. 68–69). Auteurs : Bonifacio Bembo, Antonio Cicognara. Wikimedia Commons, domaine public.
- Le Fou du tarot de Marseille, 1701–1715. Auteur : Jean Dodal. Wikimedia Commons, domaine public.
- Première case de l’histoire inaugurale du Joker, dessinée par Bob Kane et présentant la carte joker créée par Jerry Robinson. Texte du cartouche supprimé. Batman no 1, 1940. © DC Comics.
- Conrad Veidt dans le rôle de Gwynplaine, dans L’Homme qui rit (1928), Universal Pictures.
- Le joker utilisé comme carte substitut (remplaçant le trois de carreau) dans le rami. Auteur : Adamt. Wikimedia Commons, domaine public.

Comment le joker est-il entré dans l’univers de Batman ?
En 1940, la carte joker inspira un jeune dessinateur de Detective Comics (DC), Jerry Robinson, à imaginer un méchant dont la popularité dépasserait toutes ses espérances : le Joker. Un an après la création du super-héros Batman par Bob Kane, DC se préparait à publier une bande dessinée entièrement dédiée à ses aventures26. Le premier numéro, Batman no 1, devait contenir plusieurs récits mettant en scène différents méchants. Robinson souhaitait que l’un d’eux ait un sens de l’humour et, comme sa famille était passionnée de jeux de cartes, il pensa immédiatement au joker. En s’inspirant d’une carte posée dans son studio, il dessina la première esquisse d’un clown au sourire inquiétant27. Ce dessin finit par apparaître dans la première case de l’histoire inaugurale du Joker, figurant sur l'une des cartes que tient en main le méchant28 (illustration 9).
À partir de l’idée de Robinson, Bill Finger et Bob Kane développèrent ensuite le personnage du Joker dans son intégralité. Finger s’inspira notamment d’un film muet de 1928, L’Homme qui rit, pour enrichir son portrait29. Ce film, adapté d’un roman de Victor Hugo, raconte l’histoire de Gwynplaine, fils d’un noble antiroyaliste, vendu à des trafiquants d’enfants sur ordre du roi d’Angleterre. Pour empêcher qu’on puisse l’identifier plus tard, un chirurgien lui déforme le visage en lui sculptant un sourire permanent. Le maquillage et la coiffure de l’acteur allemand Conrad Veidt, qui incarne Gwynplaine, influença profondément l’apparence définitive du Joker chez DC. Dans le film, le maquillage des lèvres et les prothèses dentaires accentuent son rictus grotesque, tandis que ses cheveux plaqués en arrière reprennent une coiffure masculine en vogue dans les années 1920 (illustration 10). Tous ces éléments — sourire figé, lèvres rouges, dents proéminentes et chevelure lissée en arrière (verte, pour renforcer l’aspect clownesque) — composent l’image iconique du Joker, dessinée par Bob Kane pour Batman no 1 (illustration 9 ; à comparer avec l’illustration 10)30.
L’inspiration tirée du film L’Homme qui rit revient régulièrement dans les bandes dessinées et les adaptations cinématographiques consacrées au Joker. Par exemple, le film Joker (2019) avec Joaquin Phoenix s’inspire largement du concept et de l’intrigue imaginés par Victor Hugo. Cela dit, c’est bien l’association avec les cartes à jouer qui a, dès le départ, façonné la personnalité et le comportement du Joker. Dans le tout premier numéro de Batman en 1940, le Joker utilise des cartes joker comme cartes de visite et s’amuse à se présenter avec des jeux de mots, comme : « Le Joker est toujours un atout ! »31. Il tue également à l’aide de cartes : dans Batman no 1, ce sont des cartes à jouer ordinaires imprégnées de poison, tandis que dans les dessins animés et jeux vidéo ultérieurs, elles deviennent des armes de lancer métalliques, aussi tranchantes que des rasoirs32. La première histoire explorant les origines du Joker, publiée en 1951 par Bill Finger, relie sa défiguration à l’univers des cartes à jouer. Fuyant un braquage raté dans l’usine de la Compagnie des Cartes à Jouer, le criminel saute dans une cuve de produits toxiques, d’où il ressort avec le visage du joker33. Enfin, le rôle le plus courant de la carte joker, celui de carte substitut, illustre les talents d’imposture du vilain. Dans le film The Dark Knight : Le Chevalier noir (2008), le Joker trompe ainsi ses victimes en se déguisant en braqueur, infirmière ou policier.
En 1940, Jerry Robinson fut chargé de concevoir un nouvel antagoniste pour le super-héros de bande dessinée — Batman. Sa première esquisse s’inspirait de la carte joker qu’il possédait. Par la suite, Bob Kane et Bill Finger associèrent les caractéristiques typiques de la carte joker à l’image de Gwynplaine, tirée d’un film muet de 1928, pour créer le personnage emblématique du Joker.